17/03/2011

L'homme qui voulait vivre sa vie


Etant donnés l’état climatique de la planète et la culpabilité qui ronge l’être humain du nouveau millénaire, il est de bon ton de vouloir renouer avec la nature sur l’écran noir. Côté américain, ça donne « Into the Wild », une recherche de soi au contact d’une nature magnifique. Mais le voyage ne restera pas idyllique : les limites de la nature sont celles de l’homme. L’on ne peut se perdre en la nature en oubliant le problème central. La nature est bel et bien un idéal contre lequel la solitude et l’inexpérience viennent se heurter.

Côté frenchie, il n'en va pas de même. Avec un film comme "L'Homme qui voulait vivre sa vie", loué universellement, le retour à la nature revêt une dimension égocentrique, sans complexe. J’ose affirmer que ce film, pourtant bon, est un fantasme de ce que devra être l’Homme de demain. Le retour à la nature , entendu par nos contemporains désormais équivaut à un retour à soi, à ses désirs, affranchi des carcans de la société, qui vous impose une vie que nous n’avez pas choisie, une famille qui bouffe tout votre temps et toute votre énergie. Je ne dis pas que ce film cautionne telle ou telle conduite mais qu'il peut le laisser suggérer. Le héros interprété par l’inénarrable Romain Duris mène une vie de brillant avocat, avec femme et enfant adorables (au moins dans l’esprit du directeur de casting). Mais le tableau est aussi faux que les cheveux lisses du héros : le spectateur découvre , bien avant le personnage principal ,que sa femme le trompe, une découverte qui suscite chez tout spectateur bienveillant un sentiment d'indulgence envers le caractère irascible du héros, lequel ne rêve, pour être heureux, que de photographier landes de Burren et déserts desséchés.


Le hasard fait bien les choses : à l’issue d’une altercation avec celui qui l’a cocufié, le héros le tue accidentellement et se voit forcé de fuir. Décidant de faire croire à sa propre mort et à la fuite de l’amant de sa femme, il usurpe l’identité de celui qu’il vient d’assassiner et s’enfuit en Europe balkanique pour « vivre sa vie » : des photos, des photos, encore des photos. On pourrait penser qu’il a enfin trouvé le bonheur avec son Canon EOS . Le côté positif de sa fuite : il va devenir le photographe qu'il rêvait d'être, grâce à l'identité du mort qu'il usurpe et qui était lui-même photographe professionnel. Il va réaliser, furtivement, intensément, son rêve de toujours: être photographe, assouvir sa passion de fixer la beauté. Il va devoir aussi vivre sa vie (autant qu'il voulait vivre sa vie), hors de la facilité dans laquelle ses situations financière et familiale l'avaient plongé.

Ils avaient l'air si heureux...

Mais, comme ce film est un film humaniste, le bourreau se mue en victime: Romain Duris est si doué, que même dans le trou du c** du monde son talent est remarqué ; des mécènes et connaisseurs veulent l’exposer à Londres, ce qui implique de montrer son visage à l'univers, et donc de dévoiler son imposture ! La malédiction ne s’arrête jamais ! Continue pour notre ami une descente aux enfers à la française : il file à l’anglaise au beau milieu du succès, se retrouve embarqué sur un cargo pour une nouvelle terra incognita... Mais sur le cargo, il manque provoquer la double mort d’un homme et la sienne en prenant des photos du lynchage de ce clandestin par des types que l’on peut supposer racistes et /ou serbes. Notre héros et le clandestin se retrouvent à l’eau. Pour se racheter de sa conduite irresponsable, Romain Duris va encore sauver la vie du clandestin en lui permettant de survivre : à terre, il le laisse vendre à prix d’or sa pellicule 'témoin' à un journal de gauche italien. La rédemption se fait par l'art utile (tout comme la rédemption des Français se fait par le vote utile)...

Libre, il a retrouvé ses vrais cheveux

Notre sauveur finit donc, lui aussi, sain et sauf en Italie! Certes, il reste et restera en fuite, persécuté parce qu’il est trop doué pour ce monde; même si, en réalité, s'il ne peut exercer son talent, c'est parce qu’il est un assassin en fuite et que, si ce fait venait à être découvert dans l'exercice de son métier, il ne pourrait continuer à exposer ses portraits de chiens espiègles ou d'ouvriers mutins qui pique-niquent. Il va donc la vivre, sa vie, fuyant toujours, tel le nomade fantasmé par Jacques Attali. Or, le nomadisme du personnage n'est pas idyllique; son nomadisme est en soi une conséquence de son meurtre. La vie qu’il s’est choisie découle de sa faute -sinon de son refus de la reconnaître- : fort heureusement le réalisateur n’a pas le toupet de présenter le périple du héros comme un voyage de noces avec lui-même. Certains diront que le personnage est à la fois libre et enchaîné et que toute sa vie ne sera qu’une longue expiation, assortie d'une belle recherche de soi. Il est vrai que ce film a le mérite de montrer les sacrifices nécessaires à la réalisation de ses rêves et d'interroger la notion de liberté... Mais nulle trace de culpabilité ne vient effleurer le personnage en ce qui concerne son meurtre ou encore l'abandon de ses enfants (même si l'on nous montre qu'il pleure en voyant brûler la photo de ses fils...). Est-ce à dire que "liberté" (et tout ce que l'on met derrière ce mot) rime avec "manque de culpabilité" ou "irresponsabilité"? Le seul sentiment authentique de culpabilité ressenti par le héros concerne le clandestin, qu'il ne connaît pas! Et les seules larmes qu’il laisse couler sur sa joue sont déclenchées par la nouvelle de sa propre (fausse) mort énoncée par sa femme sur le répondeur du téléphone de celui qu’il a tué (car il a aussi volé son téléphone)...

Le succès de ce film provient d'un fait sans doute simple: on a tous envie d'être légitimés dans nos refus des responsabilités (s'occuper de sa famille, assumer une faute, etc.) et dans nos envies de réaliser nos rêves les plus fous! Or le film montre comment un rêve réalisé s'apparente au cauchemar. Paradoxalement, l'être humain est-il prêt à payer le prix de cette irresponsabilité? La fin du film semble dire "oui", en assumant un optimisme que l'on est fort tenté de réprouver!...

3 commentaires:

Burdigalae puella a dit…

je n'ai pas vu le film mais lu le livre et votre analyse met les mots justes sur l'impression de malaise ressenti quand j'ai tourné la dernière page...

Vert mi-fuge a dit…

Très bon article qui donne envie de voir ce film à la gloire de l'Homme et de ses rêves brisés par la société judeo-chretienne-capitaliste-fachisante !!

Neodyme a dit…

jeune bordelaise et Vert-mi-fuge, bien le bonjour ! :)