17/11/2010

La Princesse de Montpensier



La Princesse de Montpensier est le dernier film de Bertrand Tavernier, qui avait déjà régalé son public du prophétique La Mort en Direct, avec une Romy Schneider dévastée, plus vraie que nature, et un jeune Harvey Keitel , inconnu, qui n’avait pas encore besoin de se saouler pour offrir de bonnes prestations. Ce film livrait un aperçu de la télé-réalité et de ses méfaits, une sorte de Truman Show avant l'heure! Par la réunion de ses acteurs, ce film était une belle éclipse, le rendez-vous du soleil avec la lune.

Mais La Princesse de Montpensier, réalisé trente ans plus tard, c'est une véritable constellation! Librement adapté de la nouvelle éponyme de Mme de La Fayette, ce filme brille d’une pléiade d’acteurs que je ne connaissais pas (Mélanie Thierry), que je goûtais peu (Lambert Wilson), ou que je soupçonnais fort de ne jamais parvenir à jouer correctement (Gaspard Ulliel). Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant une réalisation soignée (qui se ressent des expérimentations anglo-saxonnes du réalisateur !), des acteurs dirigés admirablement et une tension progressive qui se résout de manière chaotique. La présence de personnages historiques dramatise cette fiction qui prend place au cœur des guerres de religion. Ceux qui ont lu La Princesse de Clèves, ou qui connaissent la préciosité et le jansénisme de Mme de La Fayette, ne seront pas étonnés de suivre ici une histoire d’amour sans happy-end : car, lorsque les moralistes du Grand Siècle décident de s'attaquer à l'Amour, il n’en reste jamais grand-chose... Porter à l’écran une œuvre dont le premier mérite est l'analyse psychologique: tel est le pari risqué de Bertrand Tavernier. La merveille est d’avoir réussi à étoffer cette petite nouvelle (écrite un siècle après l’époque mise en scène), en offrant au spectateur une fresque violente et romanesque.

Tout commence en 1567, par le portrait d’une très belle jeune fille, Marie de Mézières, que l’on marie contre son gré au prince de Montpensier. Elle aime le jeune duc de Guise et en est passionnément aimée. Ce Guise est le futur héros des catholiques, connu par la postérité (comme son père) sous le surnom du Balafré. La jeune princesse fait fondre les cœurs de tous ceux qui l’approchent : Guise, son époux, son précepteur, et même le frère du roi. L'unique passion de la jeune femme pour le Duc de Guise résiste au temps et aux prétendants. Mais elle veut sincèrement être une épouse modèle et fidèle. Or, ses admirateurs, qui font d’elle la femme la plus désirée et, virtuellement, la plus heureuse, ont surtout le pouvoir de faire d’elle la femme la plus misérable. Tel est le drame de cette femme: son destin est entre les mains de ceux qui prétendent mettre leurs vies à ses pieds ... telle "une biche au milieu du brame".

La force du film ne réside pas tant dans son intrigue que dans la multiplicité (et la qualité!) des thèmes abordés : l’amour , différemment vécu selon la personnalité qui le ressent (passion, amour de rivalité, amour désintéressé), l’orgueil, la bêtise, la jalousie, la rédemption. Les traits d’esprit fusent et enchantent le spectateur, découvrant un XVIe siècle qui sonne l’heure de la Modernité. Cette époque où le raffinement le plus exquis côtoie la pire des barbaries... Le film dévoile en outre, avec une singularité notable, la face obscure de la passion amoureuse, loin des fantasmes et idéalisations modernes, et s'offre le luxe d'aborder l’Histoire de France sans parti-pris affiché (au contraire d'un Patrice Chéreau avec sa Reine Margot). Il faut enfin rendre justice au jeu incroyable de Lambert Wilson dans le rôle du précepteur, comte de Chabannes fort et courageux, crevant l'écran et nous changeant de ses rôles dans Palais Royal!, Jet-Set et autres billevesées.

La Princesse de Montpensier, donc, est un film à voir et à recommander ! Rares sont les films français qui trouvent grâce à mes yeux (rendus impitoyables par la concurrence hollywoodienne), plus rares encore les films qui ne déforment pas l'esprit de l'œuvre qu'ils transposent... Infiniment plus rares les chefs-d'œuvre!