18/03/2008

Les Pyramides selon Roland Emmerich (Stargate, 10 000)



Stargate (1994), la bande-annonce

Roland Emmerich est si étonné devant les merveilles que sont les Pyramides qu’il ne peut attribuer raisonnablement leur invention à des êtres humains : pour lui les dieux égyptiens incarnés par les Pharaons, sont tout simplement des extra-terrestres. On a droit à la même soupe depuis Stargate (1994), et on en soupe encore avec 10000 qui est sorti tout récemment (2008) . 10 000 fait pendant à Stargate : on a parfois la désagréable impression d’assister au même film: mêmes pyramides dans des temps reculés, mêmes faux dieux qui, dit-on, seraient venus des étoiles, même révérence mêlée d’effroi pour ces dieux, même esclavage, même soulèvement révolutionnaire, mêmes héros typiques: le vaillant héros flanqué du naïf et de la belle brunette. Ceci nous invite à explorer la signification profonde de cette ressemblance qui existe entre les deux films, même si, entre-temps, Roland Emmerich a réalisé Le Jour d'Après. Ce film est, par ailleurs, très représentatif de l'œuvre du cinéaste, car il relève simultanément de la "science-fiction"et d'un réalisme faisant écho aux analyses très sérieuses d'Al Gore sur l'environnement. Et c'est exactement cela dans Stargate et 10000: des considérations politiques contemporaines mâtinées à de la fiction "rocambolesque".



Sur une lointaine planète, la pyramide est aussi un vaisseau spatial (Stargate)


Oui, les films Stargate et 10000 partagent une mise en scène d'extra-terrestres terroristes se prenant pour des dieux. Heureusement, des êtres émancipés sont là pour soulever le peuple et leur imposer la véritable liberté, la liberté démocratique. Dès lors qu’il n’y a plus de dieux, les dieux se retrouvent dans le peuple (dans Stargate, les libérateurs sont les américains des temps modernes, dans 10 000 : les libérateurs sont des tribus préhistoriques métissées et nomades: on passe de l’impérialisme américain au communisme altermondialiste comme une lettre à la poste). Bref, au mépris de l’histoire la plus élémentaire -mais cela n'importe pas vraiment, c'est un film-, on impose l’homme préhistorique comme un être affranchi des préjugés et de la religion, rebelle aux superstitions; si cet homme est superstitieux ou religieux, c’est qu’il est esclave et guidé par la crainte stupide ; et s'il a la chance d'être un peu plus éclairé, il sera encore craintif, refusant de voir son village exterminé par un coup de gueule du méchant pharaon-dieu. Tout cela est extrêmement "moderne" et humanitaire, reconnaissons-le.



Dans 10 000, les hommes préhistoriques sont les ancêtres des rastaman affiliés à ATTAC;
dans Stargate , les libérateurs du peuple esclave sont américains et bien modernes:


Dans Stargate, le Pharaon extra-terrestre parasitait le corps d’un jeune homme depuis des milliers d’années. Ayant lamentablement échoué dans sa conquête terrestre à maintenir le calme parmi son peuple, il prit la poudre d’escampette vers la galaxie d’Orion, amenant avec lui une foule d’esclaves illettrés chargés de travailler à sa plus grande gloire, en lui bâtissant des pyramides... jusqu’à ce que, quelques milliers d'années plus tard, des américains atterrissent pour sauver le monde englué, et refassent la Révolution ...


10 000: même révolte démocratique que dans Stargate


Dans 10 000, on retrouve, quoique plus brièvement, cette idée des « dieux qui viendraient des étoiles » (ou d'une Atlantide perdue, d'où ils seraient venus "en volant sur l'eau", c'est-à-dire en bateau) et qui maintiennent également le peuple dans l'ignorance. Les nomades-héros débarquent, fomentant une révolte (thème de la révolution spontanée et généreuse). Qu’est-ce qui définit mieux l’idéal de démocratie qu’un peuple innocent, se révoltant aussi unanimement qu’un troupeau de mammouths libérés? Et l'on peut aussi se demander: où réside-t-elle , cette liberté de sauvages qui n'ont jamais rien construit? Eh bien, ces sauvages sont libres parce qu'ils ne croient en rien, parce qu'ils dé-voilent le visage de leurs Dieux. Certes, ils ont bien raison car les dieux sont des usurpateurs. Mais on le sait pourtant : toutes les civilisations du passé étaient profondément religieuses (à Rome, par exemple tout père de famille était le prêtre de sa religion domestique; toutes les lois relatives à la propriété étaient issues de la religion).

Plus sérieusement, l’intérêt des films de Roland Emmerich réside dans la croyance dans une origine surhumaine de cette brillante civilisation égyptienne, parce que l’origine elle-même reste inexplicable, et inexpliquée.

Voyez l’égyptologie : les spécialistes s’arrachent les cheveux pour tenter de définir quand ont été construites les pyramides et le sphinx. L’histoire officielle nous dit que le Sphinx (et les pyramides) datent de 2520-2494 avant J-C (époque de Kephren). Or de récentes recherches semblent le démentir formellement , au grand dam des égyptologues. Le sismologue Dobecki démontre que le Sphinx a été bâti entre 7000 et 5000 avant Jésus-Christ. Les recherches en géologie du calcaire sur le même site abondent en ce sens. Selon le géologue Robert Schoch, la présence de pyramides aux quatre coins de la terre ne saurait être une coïncidence ; ces pyramides dispersées indiquent au contraire la «marque frappante d’une proto-civilisation, de sa décadence et de sa dispersion » (sa thèse : ancêtres communs pour les peuples –égyptiens, mayas, aztèques, olmèques- ayant bâti des pyramides). Des astronomes tels que Robert Bauval avancent que l’emplacement géographique des Pyramides et du Sphinx coïncident historiquement avec la position des étoiles (ceinture d’Orion), aux environs de 10 000 ans avant Jésus-Christ, à peu près à l’époque de leur construction. On peut aussi se référer à l'astro-égyptologie (ou archéoastronomie), discipline universitaire, qui parvient aux mêmes conclusions. Tous ces scientifiques s’accordent : les Pyramides sont les vestiges d’une civilisation plus grande et plus vieille que ce qui est admis dans l'égyptologie officielle (1).


Stargate: Râ, le dieu extraterrestre

Stargate et 10000 ont bien subi l’influence de cette "égyptologie", qui est parfois récupérée par le New Age. De cette égyptologie donc, Roland Emmerich conserve la constellation d'Orion originelle (pour lui, c'est même la patrie d'origine du Pharaon extra-terrestre), ainsi que l'idée que les antiques techniques pharaoniques auraient pu, et de loin, dépasser la bombe nucléaire.

Mais, dans 10 000, au lieu de s’intéresser à ce qui eût pu être une «proto-civilisation» égyptienne issue d’une Atlantide quelconque, R. Emmerich s'est complu dans les thèmes de l’esclavage, de l'usurpation théocratique du pouvoir et de l’égalitarisme avant l’heure: ce qui donne au spectateur un troublant sentiment d'anachronisme, et ruine du même coup, toute "théorie" crédible au sujet des anciennes pyramides pour quiconque s'intéresse à ce sujet. Ruiner ainsi toute théorie qui serait en faveur des très vieilles pyramides, c’est fort dommage, car la période dans laquelle Emmerich situe son film (10 000 avant J.-C) est tout indiquée pour mettre en scène de brillantes civilisations florissantes, ou sur le point de mourir. En effet, sur le plan historique, il n’y a rien d'incohérent à ce que des tribus primitives de chasseurs aient été amenées à rencontrer des civilisations supérieurement développées comme celle des égyptiens. Il aurait été passionnant d'assister à un clash entre hommes "primitifs" de cultures complètement antagonistes, ou même de relater une émigration de cette Atlantide engloutie vers des lieux viables, etc. Mais non... c'est tellement mieux de faire dans les apologies altermondialistes et les "quotas".

A voir ces films cependant, on devine bien qu’une telle civilisation, contemporaine des hommes préhistoriques, n'a jamais manqué de fasciner, donnant lieu à toutes sortes de théories tout aussi envisageables les unes que les autres...


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Notes


(1) Ci-dessous, un extrait de Joseph de Maistre à l'appui de mes propos. Celui-ci veut démontrer que les brillantes civilisations antiques comme l'Egypte ont forcément dû recevoir une part de révélation divine, fournissant ainsi une argumentation hostile au courant d'idées de l'évolution des savoirs (un courant d'idées que l'on appelait alors, "transformisme", ancêtre du darwinisme). Lisons cet extrait de J. de Maistre issu du Deuxième Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg:

"Personne ne sait à quelle époque remontent, je ne dis pas les premières ébauches de la société, mais les grandes institutions, les connaissances profondes, et les monuments les plus magnifiques de l'industrie et de la puissance humaine (...) Ajoutez que le véritable système du monde fut parfaitement connu dans la plus haute antiquité. Songez que les pyramides d'Egypte, rigoureusement orientées, précèdent toutes les époques certaines de l'histoire; que les arts sont des frères qui ne peuvent vivre et briller qu'ensemble; que la nation qui a pu créer des couleurs capables de résister à l'action libre de l'air pendant trente siècles, soulever à une hauteur de 600 pieds des masses qui braveraient toute notre mécanique (...) ; que cette nation, dis-je, était nécessairement tout aussi éminente dans les autres arts, et savait même nécessairement une foule de choses que nous ne savons pas."

15/03/2008

Conte du Moyen Age: "Les desseins de Dieu"

Sandro Botticelli, Holy Trinity (detail)
1491-93


Voici, chers lecteurs, un fort beau conte du Moyen Age :


" Il était une fois un ermite. Un jour, il était assis dans son ermitage et aperçut un berger endormi au milieu de son troupeau. Tandis que le garçon sommeillait, un voleur s’approcha et lui prit tous ses moutons. Puis arriva le propriétaire du troupeau. Quand il ne le trouva point, il accusa le berger de l’avoir volé et le tua sur-le-champ.

En assistant à cela, l’ermite se dit : « Que vaut donc la parole de Dieu qui affirme qu’Il est un juge équitable, puissant et indulgent ? Il n’est point équitable celui qui permet à l’innocent d’être tué et au coupable d’échapper à sa punition. Cela vaut-il la peine que je demeure dans ma retraite ? » Et il décida aussitôt de se rendre à la ville la plus proche afin d’y séjourner désormais. Il se dit : « Je protégerai aussi bien mon âme en vivant comme n’importe qui ».

Mais Dieu ne l’entendait pas ainsi et lui envoya un ange d’humaine apparence l’assister.

L’ange le salua et dit : « Je suis ton ange gardien, envoyé du ciel pour t’accompagner dans le monde où nous irons ensemble. »

L’ermite répliqua : « Je n’ai rien contre ».

Et ils s’en allèrent. Ils arrivèrent un soir chez un seigneur à qui ils demandèrent l’hospitalité. Le chevalier les accueillit aimablement et les invita à sa table. Ce seigneur avait un fils unique qu’il chérissait par-dessus tout. Son plus grand plaisir était de le voir trottiner.

A la fin du repas, deux couches furent préparées. Une pour l’ange et une pour l’ermite. A minuit, l’ange se leva, se rendit dans la chambre où dormait l’enfant et le tua.

Quand l’ermite s’aperçut de la chose, il se dit : « Il ne s’agit pas d’un ange mais plutôt d’un démon. Son acte immonde le prouve. Notre hôte nous a donné par charité tout ce dont nous avions besoin et mon compagnon, en retour, assassine son fils innocent ». Mais il ne fit pas ces réflexions à haute voix.

Le lendemain, l’ange et l’ermite s’en allèrent et arrivèrent bientôt chez un autre seigneur. Ils lui demandèrent aussi l’hospitalité et il la leur accorda en les recevant somptueusement. Ce chevalier avait une coupe d’or qu’il appréciait beaucoup et dans laquelle il buvait entre chaque mets. Après le repas, les voyageurs gagnèrent la couche déjà prête. Mais à minuit, l’ange se leva de nouveau, vola la coupe et la cacha dans sa besace.

En voyant cela, l’ermite fut stupéfait et songea : « Seigneur ! Quel compagnon ai-je là ? Cet homme noble nous a nourris de son mieux et lui, en retour, lui vole sa coupe ». Mais encore une fois, il ne dit rien.

Au matin, ils se levèrent et poursuivirent leur route. Ils arrivèrent à un pont qui traversait une profonde rivière. Sur ce pont, ils rencontrèrent un pauvre gueux.

L’ange lui dit : « Sois bon et dis-nous comment nous rendre à la ville ».

Le gueux se retourna afin de leur indiquer la direction à prendre. Ce faisant il tourna le dos à l’ange qui le poussa à l’épaule et le précipita à la rivière où le malheureux se noya.

Pietro Cavallini, Le Jugement dernier


En assistant à cela, l’ermite, bouleversé, se signa en songeant : « Il s’agit bien d’un démon. Ce pauvre hère nous indiquait la route et il l’a tué. » Mais cette fois encore, il ne dit rien à haute voix.

Ils traversèrent le pont et arrivèrent le soir chez un homme riche. Ils lui demandèrent l’hospitalité, mais l’homme la leur refusa. Cependant l’ange assista : « Nous ne cherchons qu’un abri contre les bêtes sauvages ».

Le riche répliqua : « Sous cet auvent, il y a la litière des cochons. Vous pourrez vous y reposer. »

Ils se couchèrent dans la porcherie et souffrirent toute la nuit du froid et de l’inconfort.

Quand ils se levèrent au matin, ils cherchèrent leur hôte et l’ange lui dit : « Ami, tu nous a comblés de tes bienfaits. Tu recevras pour cela une riche récompense. » Et il sortit la coupe qu’il avait dérobé au seigneur pour la donner à son hôte.

Lorsque l’ermite vit cela, il songea : « C’est vraiment le diable et je ne veux plus rester avec lui. Le seigneur à qui appartient cette coupe nous a généreusement reçus et lui, en retour, l’a volé. Celui-ci nous a à peine acceptés dans sa porcherie et il lui donne ce précieux calice ».

Il n’y tint plus et déclara : « Par Dieu, je ne supporte plus de voir tes méfaits ! »

Bernardino Luini, Anges


L’ange répondit : « Ecoute tout d’abord, tu comprendras ensuite. Quand tu as vu de ton ermitage qu’on tuait le berger, scandalisé, tu es parti. Ce berger avait commis un péché sans mauvaise intention et s’était repenti. C’est pourquoi Dieu, en pénitence, lui a envoyé la mort. A présent, son âme bienheureuse est au ciel. Ensuite, nous sommes allés chez le premier seigneur. Il nous a généreusement reçus et moi, à minuit, j’ai tué son fils. Sache, mon cher, que ce seigneur était jadis bon et que chaque fois qu’il gagnait quelque argent, il le partageait toujours avec d’autres charitablement. Mais quand son fils est né, il l’aimait tellement qu’il en oublia de faire l’aumône et de continuer à remplir de bonnes actions. Il ne songeait plus qu’à économiser afin, qu’après sa mort, son fils soit le plus riche. J’ai donc jugé bon de tuer cet enfant et d’envoyer son âme à Dieu. A présent, son père est redevenu bon comme auparavant. Puis j’ai croisé ce gueux sur le pont et je l’ai jeté à l’eau. Sache que son âme était vraiment sans tache. Mais si je l’avais laissé poursuivre son chemin, il aurait tué un homme et commis un péché mortel. En cela il aurait causé sa propre perte et aurait été contraint de mener une vie hasardeuse. Je préfère l’avoir tué. Dieu a pris son âme. Ensemble, nous l’avons préservé du péché. J’ai volé la coupe du second seigneur. Sache, qu’il aurait vécu sobre et bon s’il ne l’avait pas possédée. A cause d’elle, il s’enivrait chaque jour. Lorsque je m’en suis aperçu, je lui ai pris cette coupe et à présent, il est de nouveau plein de tempérance. Ensuite, j’ai offert cette coupe à celui qui nous a hébergé parmi ses porcs. Cela a vraiment un sens. Dieu est si équitable qu’il ne laisse jamais un bienfait sans récompense ni un péché sans punition. Il possède cette coupe d’or, mais son âme ira en Enfer après sa mort.

En entendant cela, l’ermite tomba aux pieds de l’ange et lui demanda son pardon. L’envoyé de Dieu répondit : « Je te l’accorde, mais retourne dans ta retraite et, la prochaine fois, ne te mêle pas des desseins de Dieu ».

Là-dessus, l’ermite rendit grâce à Dieu et retourna dans son ermitage où il vécut saintement le reste de sa vie. A la fin de celle-ci, équitablement, il rendit son âme au Créateur."



Extrait de Contes du Moyen Âge, Gründ,1982. Raconté par Karel Dvorak, p.86-90.