27/09/2007

Suicide Party, acte II


M. André Gorz, suicidé approuvé


Le suicide (assisté et collectif) a tellement la cote que les gueux ne peuvent pas saisir son concept naturellement. Nous avons déjà bénéficié l'an dernier, à la même période de l'année, d'une tentative de campagne pro-suicide par M. Jean-Jacques, le médiateur des idées sublimes traduisant pour le peuple. Je remarque d'étranges similitudes dans l'orchestration de ces publicités pro-mort, et j'aime partager ma joie. L'enjeu de ce débat est très grave. Il s'agit de rendre quotidien cet exemple issu de la Grammaire française et impertinente :

"Il conduit avec prévenance sa délicieuse vieille maman impotente chez le vétérinaire pour la faire piquer".(1)

Il est certain que ce ne sont pas avec des phrases de ce genre qu'on arrivera à faire avancer les choses. Il faut des histoires plus sympathiques, un peu plus humaines.
Alors on recommence, avec les mêmes ingrédients-choc, de préférence en automne, quand les gens sont un peu plus déprimés et puis... On enveloppe le vilain suicide d'une histoire d'amour à faire pleurer dans les chaumières. Voici le résumé, en quelques mots:

deux vieux gauchistes entre qui l'amour est si parfait qu'ils ne peuvent plus supporter de vivre. Deux vieux romantiques pour qui l'Amour est la valeur absolue, au nom de laquelle ils se tuent...

Se tuer ensemble, tous ensemble, c'est moins triste que d'être retrouvé pendu tout nu, seul au petit jour, au milieu de sa chambre. Et l'argument "tu meurs, je meurs": plus fort? tu meurs !

J'ai parlé plus haut d'exemples frappants. M. Jean-Jacques Bourdin en avait donné un, fondé sur la même intrigue de l'amour plus fort que la mort. Son couple choisi avait, lui aussi, tout prévu, en chargeant leur sentimental bourreau de raconter l'"événement" à M. Bourdin. Ils avaient été comparés à Roméo & Juliette et le bourreau avait pris les accents de Shakespeare. C'était tragique à vous donner le hoquet. Tout ça pour ça me demandez-vous? Mais oui, madame.

Or, un exemple frappant est encore plus charmant lorsqu'il est libre-penseur, disciple de Jean-Paul Sartre et cofondateur du Nouvel Observateur : j'ai nommé André Gorz (et sa femme Dorine). Gorz est écrivain de talent, en plus d'avoir été reporter et philosophe brillant. Son suicide parachève donc une vie courageuse de méditation intellectuelle. Nul doute que son geste final est le fruit de longues réflexions morales (2). "Libé" nous fait un extrait promotionnel de sa dernière Lettre à D., publiée il y a un an déjà:

Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous ­avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.

Mais de quelle espèce est leur paradis?... Un paradis de papier, sans doute, puisque, dans ce torchon on ne parle pas tant d'André que de son oeuvre... Voici que le suicide confirme le chef-d'oeuvre, rangeant le livre au rang de prophétie. "Vraiment, cet homme était un visionnaire! Il avait prévu sa mort"... Au Panthéon de l'Education nationale, il gagnera une renommée pour l'éternité. Lorsque l'euthanasie sera l'élément clé du meilleur des mondes après avoir été présentée comme un moindre mal, on proposera aux candidats du bac des écritures d'invention ayant pour thème et mission de "glorifier l'Homme nouveau, qui avait posé, par un acte symbolique, un choix existentiel sur fond nauséabond de judéo-christianisme. Soutenez votre point de vue par des anecdotes de fins de vie volontaires dans votre entourage."

Hormis les hurlements d'admiration unanimes des commentaires de Libé, tous réglés sur le même mode, on pourrait tout autant s'exclamer: "Quel courage de planifier sa mort !" Certes, n'est-il pas plus rassurant de quitter cette terre en sachant qu'on parlera de nous à la Une de
libération et du monde en simultané, que l'on sera décrit comme un amoureux des temps modernes au moment de la mort?...

Ce qui sera peut-être moins héroïque, c'est lorsque ce genre d'actes se démocratisera, se légalisera. Le choix même de rester en vie se réduira, les éloges seront... inexistants...


J'en veux pour preuves ces paroles prophétiques
de M. Jacques Attali. J'écris "prophétiques", mais le terme "planifiées" serait plus approprié, bien que moins poétique... M. Jacques Attali, donc, nous offre ces belles phrases dans son livre tout aussi charmant, l'homme nomade, 2005 (Ed. Livre de Poche).


L’euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures dans tous les cas de figure. Dans une logique socialiste, pour commencer, le problème se pose comme suit : la logique socialiste c’est la liberté, et la liberté fondamentale c’est le suicide ; en conséquence, le droit au suicide direct ou indirect est donc une valeur absolue dans ce type de société.
ou encore,

Dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société ; il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement, plutôt qu’elle ne se détériore progressivement.

Il en a assez dit, non? P

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(1) Dans cette même Grammaire française et impertinente, parue chez Payot, on trouve des exemples aussi charmants que: "Frankeinsten, Dracula, Landru, Pie XII, Al Capone sont des noms propres". "Bernard a cassé tous les vitraux de la cathédrale de Chartres avec sa fronde". "Au rallye des landaus, beaucoup de pneus et de bébés ont crevé". "Même le suicide de sa mère ne parvint pas à le dérider" "Pardonnez-moi, je suis pressé, je dois assassiner ma mère". "Le chauffeur routier a souri au bambin après l'avoir ecrasé avec son camion". "Beurk! c'est vous qui avez fait ça, demanda le médecin à la jeune accouchée en lui présentant son bébé." "Sais-tu, petit fripon, que tu viens de tuer ta grand-mère?
Bref, ces exemples rendent amusants et sympathiques le suicide, l'euthanasie, l'avortement, le meurtre, etc. C'est aux enfants à qui ce livre est destiné... Ces exemples sont cités dans le livre très instructif, et très bien écrit, de Vladimir Volkoff: Petite histoire de la désinformation, Ed. du Rocher., 1999, p.166.

(2) Jadis, les gens qui planifiaient leur suicide étaient considérés comme des obsessionnels sinon des fous (préjugés que tout cela!). Ainsi l'auteur du manuscrit trouvé à Saragosse, Potocki, avait poli sa balle de revolver pendant très, très longtemps, avant de se la tirer dans la gorge.

14/09/2007

De quel bord est la mode?

Classe et mode à la fois, une star du bobo-chic, une des jumelles Olsen


A tous ceux qui s'interrogent sur la mode, à sa laideur toujours plus ostensible, je me propose de donner une explication banale, mais éprouvée. La mode est dangereuse. Illustrons cette thèse par le portrait d'une lectrice anonyme du magazine Elle, c'est-à-dire le produit (virtuel ou réel) de la lecture de ce genre de magazines. Il s'agit d'un portrait fictif d'une personnalité virtuelle mais dont l'idéologie est réelle. Je m'engage donc, à peindre par petites gouttes sa beauté intérieure rebelle, puis extérieure, telle une chrysalide devenue papillon de nuit.


Je ne m'attarderai pas à brosser son portrait physique : savoir qu'elle pense ressembler à Charlotte Gainsbourg mâtinée de son père en plus propre, c'est assez. Portrait moral? Elle vient de s'acheter la dernière chaussette Vuitton, et des ballerines Marc Jacobs. Elle a aussi succombé au sac Charlotte de Darel, sac au nom de Charlotte Gainsbourg, si belle, si nature. Bien sûr, elle lit la Bible Elle (Dieu est une femme, c'est prouvé dans Dogma). Elle vélibe à présent dans les rues de Paris, attachant son sac de luxe à son guidon, et non pas sur son panier, parce qu'elle n'est pas de l'"amicale des cathos de la Baule", faut pas pousser non plus! Vous avez compris, Elle et elle roulent à gôche. "L'avis top tendance c'est de voir dans le Vélib' l'avenir de la gauche", écrivent les intellectuelles de Elle.

L'amie de Bertrand Delanoë pédale avec son Vélib' sans qu'on sache jamais où elle va . Aujourd'hui, elle accepte de nous livrer son secret: elle se rend à une petite librairie dans le Marais; afin d'acheter le dernier opus d'Olivier Adam, A l'abri de rien. C'est un roman engagé: "ça ne se voit pas tout de suite que c'est un roman engagé. Son style neutre, pudique aux allures de documentaire, en fait un chef-d'œuvre absolu", lui dit le libraire... Pas besoin de vérifier si c'est bien écrit, ils en ont parlé sur Canal, bref que du bonheur subversif à lire pendant que son copain sera au match de rugby.



Vous voyez que cette même star en plus d'être belle et chic, est engagée. C'est écrit derrière elle, au cas où elle l'aurait oublié


A la question niaise qu'on lui pose parfois, " Comment que ça se fait que t'es à gôche, toi qui es si bien sapée?", elle répond avec conviction et modestie qu'un événement sans précédent a changé la face de la France et des françaises. Ségo a modifié la face des institutions en permettant à toutes les femmes, mêmes celles de la Cellule du Parti, de s'identifier à elle par la voie du "vêtement à la mode". Ainsi, les fashionistas contribueront, modestes militantes, à renverser la tendance à babord toute. Et les femmes élégantes ne seront plus des "salopes" ("salaud" étant employé par feu J.-P. Sartre pour désigner toute personne de droite). L'inversion des valeurs participant du progressisme infini évolue en ce sens; les billets doivent changer de banque, donc de bord.


Adulée des bobos fashion en herbe, l'actrice K. Dunst déteste Bush et pense que la vie serait meilleure si tout le monde fumait du shit



Etre bobo-chic découle du fait d'être riche (c'est un signe extérieur de richesse donc aussi, un snobisme).
Se faire faire son suaire chez Dior, ainsi que Boris Vian le préconisait, quelle classe tout de même ! C'est la marque d'une ultime et ô combien courageuse dérision face à la mort et inversement, c'est l'indice d'un matérialisme éblouissant et conquérant. Une personne pauvre ne porte pas de veste griffée ni des paires de chaussettes à 150 euros la paire. Etre bobo-chic avec inventivité consiste à piocher parmi les genres des loosers faussement pauvres, le look du rocker drogué par exemple. C'est piocher également dans tous les styles pour se donner un genre éclectique, rattaché à aucun milieu social en soi déterminant donc contraignant. Une veste blanche made in Ibiza, un slim moulant de chez Gap, babies à talon aiguilles vintage, bonnet péruvien Yves-Saint Laurent, marcel Petit Bateau et pochette Vuitton, composent la garde-robe de la bobo modèle. Cela donne l'allure faussement pauvre par sa laideur provocatrice, mais classe par la cherté de ses pièces. Rouler écolo et manger bio, c'est nature mais ça coûte cher. Quand c'est faux c'est plus beau ! Mais elle n'est pas bête, la guêpe, elle refuse d'être nivelée par le bas.

La lectrice de Elle aime à se rappeler cette anecdote d'Ophélie Winter, arrivant en dodoche à une soirée R'n'b, devant des racailles déconfites et marries, car celles-ci s'attendaient à la voir débarquer dans une
rutilante BMW. Shame on you ! La lectrice de Elle ne fera jamais cette erreur! L'arme fatale, n'est-ce pas la classe, concept plus féminin et prosélyte que le chant de l'Internationale ou la tonsure à zéro. La classe c'est plus en rapport avec le Sentiment à l'honneur par la féminité retrouvée des élites. Le tip'top' est de montrer qu'on est à gauche avec ses sapes. mais l'est-on vraiment? Tout le mystère, toute l'aura de la bobo-attitude est là. Quel bonheur si toutes les électrices pouvaient ressembler à leur élue ou à leur bobo star favorite, elles gagneraient en pouvoir d'achat, en émotion! Le Sentiment oscille sans cesse ni heurt entre la mode extensive et les valeurs morales intersidérales de José Bové. La mode avance comme le progrès: plus c'est laid, plus c'est à gauche. La subversion visuelle propre à cette mode se double d'une conviction sans précédent : être engagé, c'est possible, en portant des vêtements ignobles et chers. Pis: être engagé est devenu tellement à la mode que c'est devenu obligatoire.

Nous terminerons notre portrait de la liseuse de Elle par les paroles d'une chanson, à propos d'une altermondialiste bobo, signée par le génial, et regretté Philippe Muray.



Tombeau pour une touriste innocente
P. Muray, in "Minimum Respect"

Philippe Muray, auteur peu engagé

Rien n'est jamais plus beau qu'une touriste blonde
Qu'interviouwent des télés niponnes ou bavaroises
Juste avant que sa tête dans la jungle ne tombe
Sous la hache d'un pirate aux manières très courtoises.

Elle était bête et triste et crédule et confiante
Elle n'avait du monde qu'une vision rassurante
Elle se figurait que dans toutes les régions
Règne le sacro-saint principe de précaution

[...]

Elle avait découvert le marketing éthique
La joie de proposer des cadeaux atypiques
Fabriqués dans les règles de l'art humanitaire
Et selon les valeurs les plus égalitaires

[...]

Sans vouloire devenir une vraie théoricienne
Ellse savait maintenant qu'on peut acheter plus juste
Et que l'on doit avoir une approche citoyenne
De tout ce qui se vend et surtout se déguste

[...]

Dans le métro souvent elle lisait Coelho
Ou bien encore Pennac et puis Christine Angot
Elle les trouvait violents étranges et dérangeants
Brutalement provoquants simplement émouvants

[...]

Elle se voyait déjà mère d'élèves impliqués
Dans tous les coollectifs éducatifs possibles
Et harcelant les maîtres les plus irréductibles
Conservateurs pourris salement encroûtés

[...]

Elle disait qu'il fallait réinventer la vie
Que c'était le devoir du siècle commençant
Après toutes ces horreurs du siècle finissant
Là-dedans elle s'était déjà bien investie

[...]

Faute de posséder quelque part un lopin
Elle s'était sur le Web fait son cybergarden
Rempli de fleurs sauvages embaumé de pollen
Elle était cyberconne et elle votait Jospin

[...]

L'agence Operator de l'avenue du Maine
Proposait des circuits vraiment époustouflants
Elle en avait relevé près d'une quarantaine
Qui lui apparaissaient plus que galvanisants

[...]

Elle est morte un matin sur l'île de Tralâlâ
Des mains d'un isIamiste anciennement franciscain
Prétendu insurgé et supposé mutin
Qui la viola deux fois puis la décapita

C'était une touriste qui se voulait rebelle
Lui était terroriste et se rêvait touriste
Et tous les deux étaient des altermondialistes
Leurs différences mêmes n'étaient que virtuelles